Ferro-Lyon

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Des rues bien larges…

Publié le 15-11-2009 à 20h37

Les automobilistes n’aiment pas que l’on touche à leurs voies de circulations, à part pour les élargir. Ainsi, depuis les années 1930 l’espace de la voirie urbaine dévolu aux véhicules motorisés a augmenté en réduisant la largeur des trottoirs (les piétons s’adapteront !), voir en coupant des rangées d’arbres qui ornaient et ombrageaient les avenues. Ces opérations, réalisées au coup par coup, ont progressivement métamorphosé la ville et ont débouché sur des absurdités.

Ainsi, lorsqu’on observe des images anciennes antérieures à la deuxième guerre mondiale, on ne peut que remarquer combien les rues étaient dégagées. Il y avait certes de la circulation qu’elle soit piétonne, cycliste, ou de véhicules divers, mais on ne voit par exemple aucun alignement de véhicules en stationnement de longue durée le long des trottoirs. Les véhicules étaient à cette époque systématiquement stationnés dans des emprises privées de leurs propriétaires. C’est dans les années 1950-1960 que l’on assiste à une confiscation et une accaparation progressives d’une partie de l’espace public au profit d’un usage privatif de stationnement de véhicules. Ceci sans aucune contrepartie pour les collectivités détentrice de la voirie, bien au contraire même, car elles vont encourager cet usage par des travaux le facilitant (réduction de largeurs de trottoirs, marquage au sol…), sans pour autant le taxer pour récupérer les sommes dépensées ou valoriser financièrement cet espace urbain mis à disposition. Ainsi, l’ensemble des contribuables, qu’ils aient un véhicule motorisé ou non, finance l’occupation privative de la voirie par le stationnement des véhicules à moteur. En ville, les espaces étant contraints, ces surfaces qui sur l’agglomération lyonnaise se chiffrent en dizaines de milliers d’hectares sont donc confisqués aux autres usagers des rues. On peut d’ailleurs remarquer que le stationnement de véhicules est l’un des seuls usages de longue durée d’un emplacement sur la voirie qui peut ne rien coûter à son utilisateur. Les forains des marchés ou des fêtes ou les terrasses de cafés et restaurants, qui eux, participent à l’animation et la vie de la cité, sont impitoyablement taxés en fonction de la surface d’espace public occupée et de la durée.

L’accaparement de l’espace public au profit des véhicules motorisés s’est aussi traduit par la multiplication des voies de circulation sur certains axes. Ainsi, certaines voiries désignées comme structurantes compte 2, 3, 4 – voir plus – voies de circulation par sens. Or ces aménagements, parfois menés sans réflexion d’ensemble, parfois issus d’un projet inachevé, ne correspondent pas forcément au trafic réel de la voie. Ainsi, si les rues affluentes et/ou tributaires d’une avenue très largement calibrée ont une capacité inférieur à ladite avenue, la capacité globale d’écoulement de la circulation du système sera celle de son maillon le plus faiblement dimensionné. Sur Lyon et Villeurbanne, il existe trois exemples particulièrement frappants de ces dysfonctionnements.

Le premier est la rue Garibaldi, aménagée en autoroute urbaine avec des carrefours dénivelés et des trémies et 4 à 6 voies de circulations par endroits. Pourtant cette rue possède aussi des carrefours à feux, tant au début, au milieu qu’à son extrémité et les voies permettant d’y accéder ont aussi une capacité très inférieure. Ainsi, les services de la communauté urbaine de Lyon estiment que le débit réel des véhicules à moteur sur cette voie correspond à 10 à 15% de la capacité théorique de l’axe et ce sans possibilité d’augmentation car c’est la capacité des voies affluentes qui dicte de débit actuel. Comme il est peu probable qu’un élu se risque à faire construire une percée routière majeur à travers le 6e arrondissement pour apporter du trafic, la rue Garibaldi est donc condamnée au sous-emploi.

Le deuxième est le boulevard des Tchécoslovaques et son prolongement, le boulevard Marius Vivier-Merle. Là, la situation est proche, sauf que c’est la capacité des rues tributaires de cet axe qui limitent la capacité. Ainsi, sa largeur, les feux qui le jalonnent, et ses trémies peuvent être utilisés pour stocker les véhicules qui n’arrivent pas à trouver d’exutoire en heure de pointe. Bref, c’est une sorte de réservoir régulateur de circulation.

Le troisième est le cours Émile Zola, à Villeurbanne. Là, pas de trémies, mais une chaussée calibrée pour deux voies dans chaque sens avec du stationnement de part et d’autre au détriment de trottoirs indigents. Or cet axe, sur sa partie entre les Gratte-Ciel et les Charpennes est tellement peu employé que malgré un stationnement en double file sauvage permanent aux heures de pointes, la circulation s’écoule sans difficultés. Compte-tenu de l’absence de gène sur l’écoulement de la circulation par ce stationnement, on peut estimer que la circulation réelle sur cet axe doit correspondre au maximum à la moitié, voir au quart de sa capacité théorique aux heures les plus chargées.

Sur chacun des exemples précédents, la place des piétons est réduite à la portion congrue, avec, malgré des largeurs de voirie jamais inférieur à 20 mètres, des trottoirs dont la largeur se réduit par endroits à moins de 1,5 mètres. Ceci sans compter les cyclistes, qui compte-tenu des vitesses pratiquées par les véhicules motorisés et de l’insécurité qui en découle, viennent envahir les espaces piétons.

Cependant, lorsqu’il est question de reprendre aux voitures une partie de ces espaces clairement surdimensionnés, c’est la levée de bouclier des lobby pro-bagnoles. Ainsi, Pour le réaménagement du cours Émile Zola, on ergote, on tergiverse. Cet axe, outre son sur-dimensionnement routier, est particulièrement accidentogène à la fois par les vitesses pratiquées, les voies de circulation routières trop étroites et des espaces piétons insuffisants par rapport aux flux, notamment au niveau des stations de métro… Et ne parlons même pas de la place Charles Hernu à l’extrémité du cours, où le fonctionnement des feux de signalisation transforme le parcours des piétons en correspondance entre le métro et le tram en véritable couloir de la mort. On invoque alors une prétendue gène à l’écoulement de la circulation que va entraîner la réduction à une voie dans chaque sens de cet axe, sans voir que le stationnement systématique en double file existant et non réprimé, en réduisant la capacité réelle sans gêne notable prouve tous les jour la vacuité de l’argument. Même chose pour la rue Garibaldi, où là, on invoque même le coût de construction des trémies et leur durée de vie de moins de 50 ans en prétendant que c’est du gaspillage… Rappelez-moi combien de lignes de chemin de fer secondaires ont eu des durées de vie inférieure à 50 ans ? Certainement bien plus de la moitié du réseau d’intérêt local, soit plusieurs dizaines de milliers de kilomètres. Qui a parlé de gaspillage à l’époque de leur suppression dans les années 1930 à 1950 ? Quasiment personne, alors que bon nombre de ces infrastructures avaient un intérêt général bien supérieur à celui des trémies de la rue Garibaldi en désenclavant des territoires autrement isolés.

Alors que l’on nous rebat les oreilles avec le concept de « développement durable », on constate, une fois de plus, que l’intérêt du lobby bagnolard est privilégié en centre-ville. On ne restreint la place de la voiture qu’au compte-goutte, même là où elle n’a d’évidence pas besoin d’autant d’espace. On ne fait pas payer à son coût réel le luxe que représente la mise à disposition d’une partie de l’espace public pour stationner son véhicule, pas plus qu’on ne lui fait payer les aménagements nécessaires (marquage, réductions de trottoirs, potelets…). Autant dire que les hommes politiques lyonnais ne sont pas prêts à une politique ambitieuse de réduction de la circulation automobile. Vu qu’ils refusent déjà pour bon nombre à s’attaquer aux capacités routières excédentaires, autant dire que restreindre, réellement et par la contrainte sur l’espace de circulation et le stationnement, la circulation automobile est pour eux une utopie totale. Ce n’est d’ailleurs certainement pas un hasard si les lignes de tram construites depuis 2001 n’impactent que marginalement la capacité routière des axes qu’elles empruntent… Quel élu local aurait aujourd’hui le courage de mener une opération de réduction de capacité de circulation routière comme l’a été la construction de la ligne T2 sur l’avenue Berthelot ?